Pourtant soutenue par l’Avicca, la diminution des rangs de sous-traitance dans la fibre lui fait craindre aujourd’hui le pire. Entre une ubérisation intensifiée de la filière et l’impossibilité pour les entreprises du secteur de réaliser “la moindre marge en effectuant les travaux de raccordement à la fois dans les règles de l’art et en respectant les règles de sécurité”. Les opérateurs sont pointés du doigt.
« Avis de recherche : où est l’amélioration promise à maintes reprises des raccordements en fibre optique des Français ? », très mobilisée et active sur le sujet, l’Avicca, l’association qui regroupe les collectivités engagées dans le numérique, émet aujourd’hui une kyrielle de craintes sur l’évolution de la situation à l’heure où les opérateurs estiment officiellement à tour de rôle, prendre le taureau par les cornes via plusieurs mesures. L’Arcep aussi dans son plan d’action, a poussé pour mettre en place le plus vite possible des solutions.
Au coeur du problème, le STOC V2 (sous-traitance d’opérateurs commerciaux) revient souvent dans les discussions. Abonnés débranchés au profit d’autres, dégradation des armoires de rue, déconnexions temporaires, difficultés de raccordement… Afin de résoudre les difficultés observées, l’Arcep a mis en place dès 2019 un groupe de travail « Exploitation FttH », dans lequel elle réunit toutes les six semaines les opérateurs d’infrastructures (OI) et les opérateurs commerciaux (OC), aboutissant à une feuille de qualité. Seul hic, “plusieurs d’entre eux ont alors pris du retard dans la signature des nouveaux contrats STOC et la mise en œuvre du compte-rendu photo. Cette situation est difficilement compréhensible : il est aujourd’hui nécessaire que les actions prévues dans cette feuille de route aboutissent au plus vite”, prévenait alors en novembre le régulateur.
Aujourd’hui, l’Avicca se fend de son propre constat : “les nouveaux contrats ont été péniblement pratiquement tous signés non pas en quelques semaines, mais en deux ans ! Et encore, les RIP FttH anciennement sous la responsabilité de Covage fonctionnent encore pour la plupart d’entre eux avec l’ancien contrat, certains opérateurs (OCEN) rechignant à s’engager sur le nouveau contrat STOC V2 proposé”. Par ailleurs, les CRI STOC, “censés garantir que les travaux de raccordement sont bien effectués, se généralisent tout doucement, mais peu d’entre eux sont exploitables, et les sous-traitants ont vite compris comment les contourner (horodatage truqué, photos d’installations différentes de celles réalisées, endommagement volontaire des équipements avant la prise de photos pour se dédouaner de la suite…)”, dénonce l’association. Une solution devrait toutefois permettre d’améliorer progressivement une partie des problèmes rencontrés, à savoir l’introduction d’outils d’intelligence artificielle d’analyse des photos remontées.
Ce nouveau mode STOC repose sur trois grands principes : améliorer la sécurité et la qualité des interventions, renforcer la transparence et enfin rééquilibrer les coûts de maintenance. Celui induit un accompagnement systématique par l’opérateur d’infrastructure de tout nouvel intervenant sur le réseau, mais aussi la réalisation d’audits communs et des sanctions pouvant aller jusqu’à l’exclusion d’un sous-traitant.
“Diminution des rangs de sous-traitance : l’ubérisation de la filière passe au THD”
Les sous-traitants sont en ce moment largement visés en ce qui concernent les échecs de raccordement. Récemment, la présidente de l’Arcep, Laure de La Raudière a même poussé un coup de gueule sur Twitter : “ Ohé, les opérateurs commerciaux : faites le ménage chez vos sous-traitants ! Ce n’est pas acceptable. Et les opérateurs d’infrastructures, faites aussi votre boulot de contrôler les OC…” a t-elle lancé le 13 février. Pourtant le plan d’action du régulateur ne manque pas de recommandations pour améliorer la qualité des réseaux comme contrôler les interventions, limiter les rangs de sous-traitance et remettre en état les équipements endommagés.
Diminuer les rangs de sous-traitance jusqu’à 7 rangs de sous-traitance constatés sur le terrain entre l’opérateur commercial et le technicien qui effectue réellement l’opération de raccordement, “sur le papier, l’idée était bonne”, explique l’Avicca puisque le sous-traitant intervenant allait mathématiquement voir sa rémunération augmenter. En effet, “chaque rang de sous-traitance prend en effet une marge, rien de plus normal, mais en multipliant les rangs, on multiplie les marges intermédiaires et au final, il ne reste plus rien pour payer dignement le technicien en bout de chaîne. De plus, cet empilement de rangs de sous-traitance aurait pu expliquer l’absence de contrôle et de maîtrise par les OCEN de qui sont et que font ces raccordeurs, et à quel moment ils le font”.
Cependant, cette limitation au rang 2 semble aujourd’hui contre-productive, et pire encore. Après avoir assisté à une réunion de l’une des principales fédérations des entreprises locales de rangs 2, l’Avicca apporte aujourd’hui la confirmation de plusieurs craintes importantes, les mots sont forts : “l’ubérisation va s’accélérer et ce, très très vite. Et avec elle, les problèmes de déploiements et de raccordements vont s’intensifier. Il est impossible pour une entreprise du secteur de réaliser la moindre marge en effectuant les travaux de raccordement à la fois dans les règles de l’art et en respectant les règles de sécurité. Seule solution : s’affranchir des règles de sécurité. Donc être dans l’illégalité. Heureusement pour les OCEN, les auto-entrepreneurs n’ont juridiquement pas besoin de présenter des habilitations, et savent parfaitement se passer de nacelles pour effectuer ces raccordements.”
La conviction de l’Avicca est aujourd’hui fondée, la principale source des difficultés rencontrées sur le terrain, c’est le manque de rémunération des techniciens. Sont aujourd’hui pointés du doigt par l’association, les opérateurs commerciaux d’envergure nationale, à savoir Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom mais aussi les prestataires de rangs 1. “La filière structurée des prestataires de rang 2 pour le cuivre et la fibre comptait 175 entreprises locales structurées employant 13 000 salariés (plus 3 000 salariés en back-office) en 2015, avant l’arrivée massive du FttH et de ses raccordements. Ce nouveau marché aurait dû être une aubaine pour eux. Et pourtant, il ne reste qu’une soixantaine de ces entreprises structurées aujourd’hui, lesquelles ne comptent désormais plus que 6 000 salariés, et les perspectives sont plus qu’inquiétantes”, fait souligner l’Avicca. Et d’ajouter que des sous-traitants de rang 1 sont aujourd’hui touchés : “si les rangs 2 meurent en silence, la chute ou la fragilisation d’acteurs historiques de premier plan fait, elle, beaucoup plus de bruit, la perte de compétences et de valeurs s’accélèrent, et cela nous ferons à tous, durablement défaut.”
Pas de solution viable si on ne traite pas en priorité la question du coût de la prestation de raccordement”
Il faut donc sortir de cette impasse. L’Avicca soutient notamment l’idée d’une application commune aux opérateurs et aux sous-traitants permettant en temps réel de savoir si un client est débranché lors d’une intervention sur le réseau. “Force est de constater que cette action, dont l’utilité est flagrante pour limiter l’une des principales critiques du mode STOC (le débranchement sauvage de clients), n’est toujours pas acceptée par l’ensemble des grands opérateurs ; les échanges correspondants doivent maintenant aboutir”. Faute de quoi il serait plus que temps “que la puissance publique décide à leur place de ce qu’il convient de faire.”
Une autre mesure plus importante est également mise sur la table par l’Avicca, celle de rendre “illégale toute rémunération de sous-traitance qui ne permettrait pas à celle-ci de réaliser un raccordement FttH à la fois dans les règles de l’art, dans le respect de la réglementation du droit du travail et en stricte conformité avec les règles de sécurité d’intervention.”